le fils de l'horloger

Je me demande quel sort subirait Jésus s'il revenait officier sur terre ? Il serait à nouveau en grand péril. A l'est, procès pour conjuration juive et peloton d'exécution. A l'ouest, accusations de sorcellerie et de communisme, en attendant la balle d'un agent secret.

Si, par chance, il débarque dans un pays laïque et tolérant, il pourra, vaille que vaille, s'installer et espérer devenir vieux. Le plus dur sera de lui faire obtenir une carte de résident privilégié. L'administration ne plaisante pas avec les apatrides. Il faudra aussi lui trouver un nom de famille. Pourquoi pas Martinez, puisque Jesús c'est déjà espagnol ? Pourvu qu'il soit poli envers le sous-préfet ! Essentiel. En tout cas, il devrait réussir de sacrés miracles pour me persuader de rejoindre sa troupe. S'il marche sur l'eau, je trouverai le truc. S'il lit dans mes pensées, je lirai dans les siennes. Sa généalogie, je m'en balance, l'important c'est le message. Pourtant, à l'époque, l'opération du Saint-Esprit m'avait tarabusté. Sans sperme, ça ressemblait à un cas de parthénogenèse arrhénotique tel qu'il s'en produit parfois dans les tribus du désert au dire des caravaniers, mais sans ovule initial l'intervention était encore plus céleste, façon de parler, et Marie aurait été élue seulement comme porteuse d'un fruit angélique à laisser mûrir, un machin venu d'un autre monde. Cette seconde hypothèse ouvrait des possibilités infinies d'incarnations subtiles et de consubstantiations compliquées et ça me plaisait bien.

Pour en revenir à Jésus, j'espère qu'il saura écrire et qu'il s'exprimera en français d'aujourd'hui ou en anglais parce que l'araméen c'est pas mon fort ! Je lui ferai connaître les Évangiles. Il vaut mieux qu'il soit au courant. Je lui parlerai de Simon de Montfort et de la Très Sainte Inquisition. Quand il apprendra ce qui s'est passé dans les années quarante, je suis sûr qu'il voudra aller boxer le sourd-muet du Vatican. J'aurai à le calmer. Je lui dirai que les filles ont désormais une âme et qu'au-dessous de nous il n'y a plus l'enfer mais l'Australie. Il est vrai que lorsqu'on a le don d'ubiquité on n'en a rien à foutre du géoïde ! Il pourrait même marcher sur le soleil pour se chauffer les pieds et s'allonger sur la lune à l'heure de la sieste. A Jésus-nouveau rien d'absurde, rien d'impossible.

Mais sur la lune il lui faudra des poumons spéciaux, comme ceux de Jonas qui resta trois jours dans la baleine. Quand il sortit, il devait sentir bon ! Le plus miraculeux c'est d'être passé entre les fanons comme du simple plancton. A moins que le cétacé ne se soit tout simplement assis sur le bonhomme, le forçant à entrer par l'arrière. Par peur du ridicule le vieux aurait passé sur ce détail. Chez les patriarches il y a des secrets de famille. Si mon protégé a de l'humour nous trinquerons à Jonas, à Galilée et aux baleines bleues. Entre braves garçons, pas méchants pour un sou, nous finirons par nous accepter tels que nous sommes. J'écouterai son prêche. Nous en discuterons ensuite calmement, sans nous agripper le burnous. Avec quelqu'un venu d'aussi loin, il ne faut pas brusquer les choses.

Ce matin, Jésus s'est levé du bon pied. Il m'a piqué un blue-jean et ma chemise à fleurs et est allé faire tailler sa tignasse de fakir qui lui donnait mauvais genre. Il s'est aussi rasé la barbe et n'a gardé qu'un soupçon de moustache. J'espère que ses fidèles ne lui en voudront pas d'avoir quitté son air de sainte face. C'est pas toujours rose d'être fils de Dieu, il y a des contingences à prendre en compte, quelques rites archaïques à observer si l'on veut être reconnu comme tel.

Profitant de sa bonne humeur, je lui ai carrément posé cette question de sperme et d'ovule qui m'avait tracassé.

- Réfléchis un peu, mécréant. S'il n'y avait pas eu d'ovule initial, comment eus-je été juif ? J'aurais été un rien du tout, sans ascendance génétique, peut-être bien un martien avec deux queues et deux têtes, un monstre de bocal.

- D'accord. Mais Mathieu et Marc te font remonter à David par Joseph ton faux père. C'est bien une affaire de sperme cette ascendance. Tu peux m'expliquer ça ?

- Je ne sais plus. Il faudra que je relise le bouquin.

- Et cette fois-ci, tu es toujours juif ?

- Mais tu ne piges rien ! Tu es bouché ou quoi ? Qu'est-ce qu'ils t'ont appris les frères ? Tu n'as rien compris à ma famille. Mon père veut rester le seul chef, faire tout lui-même et vu qu'il est lui-même tout, ça ne lui coûte rien. Le hic, c'est qu'il est parfois inconséquent. Il expérimente, il bricole, et quand ça tourne mal il prétend qu'il a la goutte, qu'il ne peut plus voyager, qu'il est trop vieux pour ça, que c'est à moi d'aller remonter les pendules. Je suis bien obligé de rattraper ses bêtises, de remettre le monde à l'heure, sinon ce serait la fin du temps et sans temps plus besoin d'horloger. Je dois chaque fois m'adapter à la clientèle, m'incarner au goût du jour. Tiens, regarde ... Est-ce que je suis circoncis ?

- OK. Je vois. Donc cette fois-ci tu n'es pas juif.

- En vérité, tu l'as dit, mon frère.

Ce type est surdoué. Il a réponse à tout. Un vrai extra-terrestre. Il est à peine ici depuis quelques semaines que déjà il se joue du passé antérieur interrogatif comme agrégé en Sorbonne. "Comment eus-je été juif ?" Quelle classe ! Pendant la guerre il aurait pu servir dans un Service de Propagande.

Je l'accompagne désormais à son sermon quotidien sur le pic de Brau qui garde l'entrée la haute vallée. Le sol y est bardé de fossiles marins. La montagne d'en face est d'ailleurs surnommée "la montagne des cornes" car on y trouve beaucoup de coquillages coniques, pétrifiés. Après le discours, mon copain bénit des cartes postales et des images pieuses qu'il signe d'un petit poisson et d'une croix. Plus tard, ça prendra de la valeur.

Je lui sers aussi de garde-du-corps depuis qu'une bande de désœuvrés, très collants, s'obstine à le suivre où qu'il aille. Il ne peut même plus se servir à table ou lever son verre sans que ses disciples les plus brailleurs hurlent au miracle. Les policiers des R.G. l'ont à l'œil et pourraient bien lui créer des ennuis avec la préfecture. Déjà certains curés l'accusent de plagiat alors que d'autres lui font la gueule parce qu'il a refusé de prêcher dans leurs églises !

Sur ce dernier point, il m'a expliqué que s'il prêchait à l'église catholique, il faudrait qu'il le fasse aussi au temple protestant, à l'église orthodoxe grecque ou russe, à la synagogue et même à la mosquée, qu'il n'était pas venu pour se faire adorer et qu'il n'avait pas envie de délayer son message pour faire plaisir à tout le monde.

Il prétend que l'amour résulte d'une pulsion ou d'un échange, qu'il ne se commande pas et que certains en sont plus capables que d'autres. Il dit qu'il faut respecter l'univers, mais qu'il y a une hiérarchie des créatures, qu'il faut abattre l'arbre pour faire son charbon mais que brûler la forêt est une grande faute, qu'il faut sauter du pont pour sauver l'inconnu qui se noie. Il dit qu'il faut s'instruire pour devenir meilleur et plus utile aux autres, que chaque homme qui progresse enrichit l'humanité. Il dit qu'il faut être bon par désir de bonté et ne rien attendre en retour.

Quand il se lâche, on ne l'arrête plus. Il est intarissable.

Il en est venu à me parler à nouveau du souci que lui cause son père. Ça nous rapproche. Finalement, il n'a pas été gâté lui non plus de ce côté là !

A l'origine, "in principium", c'était un bon père, féru de cosmologie et plein d'idées créatrices. Il allumait un petit soleil par-ci, accrochait une jolie lune par-là. Sa famille était aux anges ! Qu'on le traite de Zeus ou de grand Manitou sur la poussière des galaxies, ne le tracassait pas. Enfantillages saisonniers. Dans la durée, il restait l'Immense, l'Éternel, l'Innommable. Et puis il y eut ces bergers des bords du Jourdain, sur la troisième planète d'une banale étoile, qui commencèrent à lui vouer un culte, à lui offrir des barbecues et des paniers de dattes. Lui qui aurait dû rester au-dessus de tout ça, il s'était laissé séduire, il avait mis l'index divin dans l'engrenage.

Après les bergers, vinrent les pêcheurs de Tibériade, puis les guerriers francs, puis les chameliers de Saba et ça n'a pas cessé depuis. Yahvé, la Trinité, Allah… Dieu le père est devenu le dieu caméléon. Il ne sait plus au juste qui il est. Tout le monde l'adore et il s'en pourlèche. Pour que ça dure il a promis n'importe quoi : ici la terre de Canaan, ailleurs la victoire, l'extase, des troupeaux de chameaux, des cieux pleins d'angelots ou bien de jolies filles. Au fil des ans, des visionnaires nocturnes ont fignolé son personnage, des clans se le sont approprié, lui ont fabriqué une histoire imbriquée à leur saga et la défendent jusqu'au sang.

De l'illustre théatre, n'est pas sociétaire qui veut. Les jeunes troupes qui prétendent se produire à leur tour sur la scène aux miracles doivent payer au prix fort de la persécution et du carnage le droit de changer leur statut de secte ridicule en celui de compagnie ayant pignon sur rue, ou clocher ou minaret sur la grande avenue.

Divina Comedia ! L'homme exploite le Ciel depuis la nuit des temps. Plus c'est vieux, meilleur c'est ! Les rois et les puissants ont toujours su utiliser l'idole pour justifier leurs privilèges, nourrir leur haine, affermir leur emprise sur le pauvre monde.

Écœuré par ce bordel organisé, l'ami Jésus n'en est pas à sa première mission sur la planète des fous comme il l'appelle. Chaque fois, il y prêche la paix et la tolérance. Mais il débarque au petit bonheur la chance. Il ne reste rien de son passage chez les Cro-Magnon, par exemple, sinon des éraflures au fond de quelque grotte. La dernière fois, chez les Juifs, il avait semé des graines de fraternité nouvelle, une belle expérience agronomique.

La première levée fut prometteuse. Hélas, les récoltes suivantes furent gâchées par un champignon noir qui s'attaque aux épis. Au ciel, ce fut la déception, mais mon copain croit avoir trouvé la parade : il aurait une meilleure semence, mieux adaptée au temps.

Sacré Jéjé ! Reviens sur terre, arrête de rêver. Ces prélats qui t'applaudissent du bout des doigts se demandent déjà comment te perdre. Ils mobiliseront la rumeur contre toi. On te reprochera de n'être pas d'ici, d'avoir de tristes mœurs ou de voler les poules, d'être un faux-jésus, un fou, un apostat. Ils essayeront d'embrouiller l'esprit de quelque Ravaillac pour aller t'agresser. Le sous-préfet s'en lavera les mains ou alors te fera expulser pour ton bien.

Sois prudent. Mets un bémol à tes béatitudes. Si un jour tu reviens au jardin des olives, tu auras à nouveau des sueurs froides !

Faut-il le regretter, il est fini le temps des paraboles et des sermons sur les montagnes ! Pauvre Jésus qui a fait tout ça pour rien, à l'époque ! Je suis sûr qu'il aurait plongé dans le lac de Tibériade, lesté de cailloux plein la tunique, s'il avait pu prévoir la suite de l'histoire, comment son message serait transformé et dévoyé. Il aurait dû apprendre à écrire, Jésus, c'eut été une bonne précaution ! Au lieu d'un message droit et clair il ne reste de sa vie que des récits douteux, recopies incertaines, biaisées, embellies, de scribes apocryphes affirmant tenir ça  de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours. Si c'est pas du bourrage de crâne, ça en a l'air !

Restons lucides : le Dieu d'en haut dépasse notre entendement. Il est la connaissance de toute chose, la loi qui règle l'immense et l'infime, l'inerte et le vivant, la matière et la pensée. Il est au cœur des machines cosmiques capables de s'aspirer elles-mêmes, puis de se régénérer et d'exploser en nouveaux mondes.

Depuis son minuscule archipel sidéral, l'homme est parvenu à jalonner l'espace, à mesurer le temps. Ce qu'il découvre parfois l'inquiète, toujours l'émerveille. Mais cet arpenteur appliqué ne dispose que de sa propre chaîne et ignore si quelque intelligence existe à une autre dimension que la sienne. Quand il proclame sa filiation directe avec le principe même de l'univers il se valorise, il s'invente une lignée. C'est flatteur mais rien n'est moins sûr.

La vision antique du monde justifiait Zeus et son Panthéon. Pendant des siècles ça a suffi à des milliers et des milliers de gens et pas tous cons. Qui s'en soucie encore ?

Le dieu solitaire, disparate référence des grandes religions monothéistes, aurait préexisté à tout. On nous dit qu'au début il n'était que parole, "in principium erat verbum", avant de modeler une boule d'argile à son image. Mais quand s'affubla-t-il de cette image ? Et a-t-il fait Adam en nouveau-né, en adulte ou en vieillard chenu, faudrait savoir ? Peut-être qu'on se trompe depuis le Moyen Âge en peinturant Jéhovah en vieux barbu, qu'on lui fait de la peine !

La notion d'une aube des temps, d'un début des choses, brouille celle d'éternité. Comment imaginer un dieu éternel, barbu ou pas, en amont de sa toute première création ? Je crois qu'Allah n'a pas fait le monde et les esprits célestes parce qu'il s'ennuyait, seul au milieu de rien, mais parce que sans ses créatures il ne saurait lui-même exister.

Moralité : Les best-sellers sacrés sont de sacrés foutoirs où l'on trouve tout et son contraire. On les lit comme ça arrange, au premier, au second ou au septième degré.

Pour ma part, je récuse les sagas tribales et les mythes ancestraux. L'élection d'un groupe me choque. Qu'un dieu soit raciste, sexiste et rancunier m'est insupportable. Qu'il ait prélevé un os à un bipède mâle pour lui offrir une femelle soumise, subalterne, notre mère à tous, est un cas de fiction délirante. Les assertions de la Genèse sont consternantes et la suite de la sainte histoire est à l'avenant. Les scribes de la nuit des temps prenaient vraiment les gens pour des demeurés !

Un buisson ardent par-ci, un arc-en-ciel par-là ... Tiraillé de tous côtés, le Dieu des Tribus se met en quatre. Il lui faut être partout à la fois. Quand il est surmené, il fait n'importe quoi, il oublie les plus faibles, ceux qui gueulent moins fort. Sa justice est borgne. Lorsqu'il soutint le roi de Bourges contre celui de Londres, il se fit complice d'une captation d'héritage. Il y avait déjà eu le précédent de ce crétin d'Esaü spolié de son droit d'aînesse. Le Très-Haut est un récidiviste ! Bien placé comme il est, lui qui voit tout du dessus, il n'a aucune excuse, il prend trop souvent le parti des plus malins, il se fait avoir, il donne le mauvais exemple.

Ses desseins sont secrets ? … la belle affaire !

Quand les guerriers et les bénisseurs de canons demandent sa protection comme un dû, pourquoi l'accorde-t-il à tous les yeux fermés ? "Domine, salvos fac consules !" Seigneur, protège les consuls.

Même les recrues de la Waffen SS se mettaient sous sa garde en jurant sur l'épée :

- Je te jure, Adolph Hitler, führer germanique et réformateur de l'Europe, d'être fidèle et brave … Que Dieu me vienne en aide !

Dieu fut-il abusé par Joseph Goebbels ? N'a-t-il pas vu les fils d'Israël monter en fumée ? Regardait-il ailleurs comme Eugenio Pacelli, son représentant sur la planète ?

L'allégeance à un être suprême collectif, officiel, imposé, est tellement commode pour régir nos sociétés et, dans le meilleur des cas, pour brider la folie commune. C'est un ciment très liant autour des hiérarchies. Le droit divin sert d'alibi aux monarques depuis des siècles. Un scandale ! Dieu n'a pas été consulté. On décide en son nom, c'est une pétaudière.

Le Suprême apprécie peut-être l'architecture des cathédrales et celle des mosquées et la musique sacrée parce qu'elle est belle, mais ça ne règle rien. Il a toujours besoin des hommes pour être rassuré sur sa propre existence. L'univers évolue, fonctionne désormais sans son aide et ça le tracasse. Il a fixé des lois qu'il ne peut plus changer. Comment tout ça va-t-il finir ? Sans compter qu'il est parasité par des bestioles dorées, grands ministres de son culte, qui le fouillent, le grattouillent, le démangent, le sucent, se gavent de son maigre et de son gras. De temps à autre il se fâche, en écrase quelqu'une avec l'ongle, mais ça ne décourage pas les autres.

Le Tout-Puissant soupire. Ça devient vraiment pénible d'être dévoré par ces saletés ! Il n'a pas de saint à qui se vouer, lui, aucune échappatoire. "Domine" par ci, "Domine" par là. Il en arrive à maudire cette faune qui lui court sous le poil et pourrit son jour de repos.

Les Terriens, nombre d'entre eux tout au moins, sont vraiment devenus insupportables. Heureusement qu'il les a fait mortels et que leur monde finira par s'éteindre. Alors, forcément, il ne les aura plus sur le dos.

Par gratuite bonté et pour se passer les nerfs, le Grand Horloger s'adresse aux étoiles :

- Écoutez bien, mes brillantes. Les mondes existent tant qu'il y a un regard pour les voir. C'est pourquoi aux seize points de la rose, aux confins des confins, je suis toujours là à regarder les mondes pour les faire exister ou, s'ils ont disparu, pour faire qu'ils aient existé. C'est quand même pas sorcier de comprendre ça !

Et tout d'un coup il réalise sa monumentale bévue :

- Tonnerre de moi ! J'avais oublié ces maudits anges dont je ne peux plus me débarrasser. Pourquoi ai-je fait d'eux des êtres immortels ? Même le plus minable d'entre eux peut voir les mondes et s'en souvenir à jamais. Putain de Lucifer, que tes diables t'emportent !

Le Vieux Dieu des rouleaux et des livres sacrés est dans le pétrin. Certains bidouillent son œuvre sans souci des brevets et des droits de l'auteur, d'autres cherchent à lui nuire, guignent sa place, veulent sa peau …

Non, pas question d'être chassé du ciel et il ne laissera son fauteuil à personne. Il tonnera, il aboiera, il foudroiera ! Il est prêt à changer de nom encore une fois, à envoyer son neveu s'incarner en martien, à donner le droit de vote aux anges. Bref, il est prêt à tout et à n'importe quoi sauf à démissionner.

Le Bon Dieu de ma grand-mère n'a pas vu que son monde changeait. (Mais qu'est-ce qu'un monde dans une éternité ? Une bille, une poussière.)

Depuis qu'on lui serine qu'il porte toujours beau, qu'il n'a pas bougé d'un poil, il a fini par le croire, il ne s'est pas senti vieillir et maintenant il ne comprend pas pourquoi tout craque autour de lui, tout bouge, tout se dérobe.

Les cerceaux de Saturne lui donnent le tournis. Il vacille. Il n'est plus ce qu'il était, il bat des bras, titube. Il s'agrippe aux cornes de la lune, aux branches de l'étoile, à la croix des évêques, au balai des sorcières, à la queue des vaches, à tout ce qui lui tombe sous la main !

… mais ne sautez pas au ciel, athées et mécréants, ne vendez pas sur pied la peau de la Grande Ourse ! Il va s'en tirer une fois de plus, c'est dans le Livre ! Il prendra médecine, nous enterrera tous. De la fin de Yahvé, demain n'est pas la veille.  Alekum Salam ! Shalom ! Allez en paix !

Guy Roves
Justin le marin

fin