DEVOIR DE MÉMOIRE

Les  chefs scouts échappés de France après l'armistice avaient rejoint les Belges libres et repris la guerre contre l'Allemagne. Plusieurs moururent au combat. Le colonel Doyen et sa famille réussirent leur évasion et gagnèrent Londres. Lors de sa dernière mission, Hibou fut capturé et fusillé et on ne sait ce qu’il advint de sa mère.

Max trouva refuge au maquis Bir-Hakeim. Son père, le commandant Demarne, fut tué dans une embuscade.

La mère de Justin fut tondue par des patriotes enflammés et emprisonnée. A sa libération, elle récupéra Loïc et Charlotte et écrivit à sa belle-mère. Elle était sans nouvelles de son mari et quatre de ses enfants avaient disparu.

A la fin de l’automne de 1944, la Croix-Rouge apprit à la grand-mère que son fils avait été tué quatre mois plus tôt et la vieille femme ploya sous la douleur.

Au mois de mars suivant, on eut quelques détails sur la mort d'Antoine, par l'abbé L. de Montargis qui écrivit à Camille :

Votre fils fut chargé de faire une patrouille dans la nuit du 11 au 12 août. Il rencontra alors une patrouille allemande. Fut-il pris pour un membre de la Résistance ? je ne sais. En tout cas il y eut échange de coups de feu et votre fils fut touché mortellement. C'est l'ambulance de la LVF qui le reçut et non l'hôpital. Aucun prêtre de Montargis que je sache ne l'a approché. Les obsèques religieuses ont eu lieu le samedi 12 août à 16 heures à l'église de Montargis ... Pour l'instant il n'y a pas de croix sur la tombe mais seulement un casque et une couronne portant l'inscription : " Les officiers, sous-officiers et légionnaires à leur camarade." Si vous le permettez je ferai poser une croix avec les inscriptions d'usage, c'est bien normal qu'un chrétien repose sous le signe de la croix.

Jacques et Antoine-fils, abandonnés par leurs familles nazies, finirent la guerre comme mascottes des troupes de Patton.

Début mai 1945,  ils donnèrent signe de vie.  Après de longues vacances à Sable-de-Rivière, ils furent enfermés à l’orphelinat d'Albi dans le Tarn. Charlotte trouva refuge chez la mémé Camille et Justin perdit son statut d'enfant unique.

Dix-huit ans plus tard, François et Françoise, les jumeaux disparus, retrouvèrent enfin leurs cinq frères et sœurs, mais jamais ensemble car la famille avait éclaté. Les plus jeunes membres de la fratrie de Justin n’ont gardé aucun souvenir des traits du visage de leur père. Justin leur a montré quelques photos de jeunesse et ça leur sert de mémoire.

Monseigneur Boyer-Mas avait berné son monde. Résistant de la première heure, il organisa les filières de départ d'Espagne des volontaires pour rallier de Gaulle. Il se tua en automobile après la guerre.

L’abbé Plancade s’engagea dans l’armée et devint aumônier de la Légion Étrangère en Indochine. On peut le voir, célébrant sa messe en campagne, sur plusieurs reportages cinématographiques de l’époque. Il se fit ermite sur ses vieux jours et termina sa vie près de Fitou dans la solitude d’une grotte.

Jacques Ruffié, qui avait échappé à la Gestapo, est maintenant un savant de renommée mondiale.

L’attrapeur de chiens revint très amaigri de Buchenwald.

La pieuse Mathilda a été décorée de la médaille d'or diocésaine par Monseigneur l'Évêque de Carcassonne. Elle aura bientôt cent ans et elle s'en fiche. Elle a tout oublié.
 
 

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

Guy Roves
Justin le marin